Cabinet médical

À présent debout, appuyée d'une main sur le mur à côté d'elle, Lily restait interdite. Elle essayait de comprendre ce qui s'était passé.

Elle avait vu ce qu'elle appelait "la deuxième peau" s'étendre sur le bras du jeune médecin avant qu'il ne la cache derrière son dos. Elle s'était redressée en même temps que Lucas, légèrement penchée vers lui pour voir si il allait mieux... Mais le jeune homme avait changé. Son attitude, l'aura qui émanait de lui n'était pas celle qu'elle avait perçut en rencontrant le médecin il y a quelques minutes à peine. Elle recula prestement. L'expression de l'homme qui lui faisait face lui donnait la chair de poule.

Voir un autre homonculus devant elle, autre que son reflet dans un miroir, donnait envie à Lily de déplier ses ailes. Elle senti le bas de son dos s'enflammer, exactement là où se trouvait son propre tatouage, et commenca à se trouver à l'étroit dans sa veste bleu électrique, entre les omoplates. Elle ferma les yeux et respira un bon coup pour empêcher quoi que ce soit de sortir de son dos et déchirer son uniforme par la même occasion. Elle avait appris à contrôler ce genre de comportement en la présence de certains individus. Quand elle ouvrit ses paupières, elle vit que son "collègue" comme il l'appelait n'avait plus que sa "deuxième peau". Elle avait arrêté de lui tourner autour comme un vautour en cage, mais continuait de l'observer malgré tout. Elle entendit à peine sa question, ne relevant pas le compliment sous-entendu, et répondit d'une voix sourde.

Son antipathie pour lui se traduisait par une certaine séverité de la jeune fille. Sa petite bouille d'ange, d'habitude candide et discrète, semblait à présent un masque de dureté. Elle ne savait plus si retrouver les autres homonculus était une bonne idée.
À chaque fois qu'elle entendait parler d'eux, c'était pour un bain de sang, et celui qu'elle avait en face d'elle... No comment. C'est comme si elle était prédestinée à na pas pouvoir le blairer. Lentement, elle releva la tête pour regarder son confrère dans les yeux.

Un changement radical de conversation s'imposait si elle ne voulait pas l'étrangler, lui et son petit air effronté de rebelle de sa vie...

Elle compris la nonchalance de son confrère vis-à-vis de son existence. Elle avait vécu près du triple de sa vie, un temps largement suffisant pour se rendre compte que l'on ne pouvait pas s'amuser éternellement, bien qu'elle ait passé toute une période dans une forêt à observer les humains. Ce qu'elle ne parvenait pas à comprendre, et cela semblait commun à tous les homonculus, c'était pourquoi les gens de sa race détestaient autant les humains. N'étaient-ce pas eux qui les avaient créé ? Eux qui leur avait permis de vivre, ou du moin d'exister ?

Elle l'avait fait. Elle avait sauté. Les supplique de Lucas n'avaient servient à rien ; elle était devenue comme sourde à ses appels. Elle ne se retourna même pas vers lui, craignant trop de ne voir que Shambles et d'accroître le sentiment violent de haine qui l'avait envahie. La douleur dans son dos s'accrue au point de la faire crier, mais elle se retint de justesse en se mordant la langue, ne laissant filtrer qu'un vague gémissement. Les larmes continuaient de ruisseler sur ses joues depuis ses yeux fermés tandis qu'elle plongeait en piqué vers le sol de béton.

Enfin, une magnifique paire d'ailes diaphanes aux reflets irisés sortirent d'entre ses omoplates pour se déplier et battre furieusement, faisant remonter la jeune femme vers le ciel de justesse, tel une libellule à taile humaine.

Elle passa au travers de quelques nuages bas qui la raffraîchirent et l'aidèrent à remettre ses idées en place. Loin de Shambles, elle retrouvait son calme habituel. Elle inspirait un grand bol d'air quand le souvenir de Lucas s'imposa à elle. Elle l'avait laissé seul avec l'autre dégénéré qui semblait avoir pris possession de son corps ! Et puis, il ne savait pas que son pouvoir était de voler...

Consciente de ce qu'elle avait pu faire entrevoir au jeune médecin, elle redescendit prestement vers la fenêtre ouverte du cabinet médical et se posa doucement sur la corniche. Le bruissement de ses ailes faisait frémire l'air. Ne sachant trop si ce bruit infime pouvait attirer l'attention de l'humain, elle se décida à chuchoter quelques mots.

Lily poussa un soupir de soulagement quand elle entendit cette phrase. Toute trace de la haine qu'elle avait ressentit s'était évaporé, laissant place au remord d'avoir pris le risque de se faire voir par une personne malintentionnée alors qu'elle volait, et...

Oh non. La jeune femme se retourna vivement pour scruter le paysage de Central qui s'étendait à ses pieds, sur le qui-vive. Elle entendait Lucas se rhabiller derrière elle. Un instant, ses joues prirent feu et ses ailes frémirent. L'homonculus se concentra de plus bel, les yeux plissés à cause du grand soleil de cet dernière journée de printemps. Personne. À part un chien qu'elle entendait aboyer au loin, Central était vide. Son inquiétude se dissipa et elle pivota vers le jeune médecin.

Deux au lieu d'un, n'est-ce pas ? Lily parvenait à peu près à cerner le pourquoi de l'histoire, mais le comment restait un mystère pour la jeune femme. Peut-être ne le saurait-elle jamais...

Elle prit volontier la main que Lucas lui tendait, tremblante malgré elle, et la serra plus fort qu'elle ne l'aurait souhaité alors qu'elle redescendait de son perchoir. Lily esquissa un sourire timide en guise de remerciement et libéra à grande peine son étreinte. Ce contact l'avait appaisée, sans qu'elle puisse se l'expliquer. Sans doute était-ce de savoir qu'elle n'était pas la seule à porter un aussi lourd secret...

La tentative d'humour du brun fonctionna à merveille sur la jeune femme, heureuse d'oublier ce qui s'était passé précédemment... Malgré ses ailes, toujours présentent au creu de ses omoplates, et dont la poudre qui lui permettait de voler scintillait aux rayons du soleil, créant un doux halo doré autour de l'homonculus. Son rire était un peu nerveux, certe, mais sincère, et lui ôta comme un poid des épaules.

Le pansement appliqué par Lucas quelques temps plus tôt était vierge de toute trace de sang et ne la faisait absolument plus souffrir. Intriguée, la jeune femme leva son autre bras pour défaire le tissu et le dérouler lentement, délicatement. La bande blanche glissa par terre, laissant voir une peau pâle mais intacte, dénuée d'une quelconque cicatrice.

Lily avait parfaitement entendu ce qu'avait murmuré le brun, et avait approuvé ses dires par un inperceptible hochement de tête. Il est vrai que des sujets de ce genre sont difficiles à aborder.

Le contact des doigts du jeune homme sur sa peau l'avait fait frissonner, mais elle se garda bien de le montrer au médecin.

L'homonculus placa ses mains de part et d'autre de l'assise de sa chaise dépourvue d'accoudoirs, ferma les yeux et serra le dents. Après un dernier frémissement, ses ailes se replièrent sur elles-même et s'enfoncèrent dans le dos de la jeune femme, tels d'innombrables bouts de verre. La douleur était atroce, mais Lily tint bon, grimaçantes, et reserra sa prise jusqu'à faire blanchir ses phalanges. Enfin, plus de trace des ailes diaphanes, et plus de douleur.